Avec la condescendance décontractée dont fait habituellement preuve un certain « grand » patronat français à l’égard des « petites » entreprises, le MEDEF vient de commettre un joli petit fascicule intitulé « La formation, c’est vous ! », destiné d’abord à sensibiliser les « TPE » et « PME », autrement dit les « petits » entrepreneurs, quant à la nécessite de former leurs collaborateurs, mais ensuite et surtout à vanter les indéniables avancées de la dernière réforme en date de la formation professionnelle.
En premier lieu, et au-delà de la forme sympathique du petit livret très dans l’air du temps (on croirait presque une communication gouvernementale, c’est dire…), on ne manquera pas d’apprécier le sens du tempo, l’à-propos dans la communication, et l’audace un peu bravache qu’il faut détenir pour venir en cette période de pré-rentrée nous faire la promotion d’une énième réforme de la formation professionnelle, qui s’apparente cruellement, quelques huit mois après son entrée en vigueur, de façon de plus en plus évidente à… un énorme et parfait fiasco.
Ensuite, si j’en crois le nombre somme toute conséquent de pages réservées aux notes personnelles (neuf sur un total d’une cinquantaine) et au glossaire (encore sept pages), sans même parler des jolis dessins au cas où nous ne saurions pas bien lire, on peut juste émettre l’idée que l’équipe en charge de la rédaction s’est trouvée à certains moments en mal d’idées – … comment dire ?… lumineuses ? – pour remplir son petit livre vert…
Mais la première vraie surprise, c’est la finesse de l’analyse prospective dont font preuve nos rédacteurs. Jugez en par vous même, c’est à couper le souffle : « Une entreprise qui n’investit pas dès maintenant dans le développement des compétences de ses salariés se met en risque pour le futur. La formation des femmes et des hommes devient donc essentielle« . Voilà de quoi laisser sans voix un praticien de vingt ans des ressources humaines et de la formation professionnelle… On est dans l’enfonçage de portes ouvertes à échelle industrielle.
Mais ce n’est pas tout… Ladite brochure nous apprend qu' »en 2030 près de 30% des métiers auront évolué« . Seulement 30% des métiers et seulement une évolution, donc… Mon Dieu ! Me voilà rassuré. Moi qui pensais vivre au cœur d’une révolution technologique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Moi qui croyais évoluer au milieu d’un tsunami qui avait déjà révolutionné 100% de nos métiers et de nos pratiques professionnelles au cours de ces vingt dernières années. Moi qui croyais que le plus gros de la vague (le meilleur ou le pire, c’est selon…) était à venir : usage massif du Big Data, internet des objets, impression 3D, intelligence artificielle, robotisation…
En essayant d’entrevoir les possibles de ce futur, et à la vue de ce qui s’est déjà produit, qui peut dire avec certitude que ce sera le monde (et celui du travail) en 2030 ? Est-ce que la voiture autonome sera déjà une réalité ? De quelle façon les objets communiqueront entre eux, et quels usages à peine imaginables aujourd’hui seront devenus courants ? D’aucuns avancent qu’en 2030 les ordinateurs se programmeront tout seuls, ce qui donne à imaginer à quel point c’est l’ensemble des métiers tels que nous les connaissons aujourd’hui qui seront sont probablement à repenser. En tant que « petit » entrepreneur, je pense avoir passé ma vie professionnelle à réinventer mon modèle économique ; et, à cet égard, les années à venir ne se présentent pas comme de tout repos. Permanent sujet de réflexion, permanente source d’excitation… et d’angoisse…
Quoi qu’en pense l’Avenue Bosquet, nous ne parlons pas là d’enjeux à la marge ou de quelques ajustements cosmétiques. Et la question est bien de savoir si notre système de formation professionnelle est adapté à ce défi, et si la réforme va dans le bon sens.
« Dans un monde de contraintes diverses, où tout devient compliqué, la réforme de la formation professionnelle nous offre un nouvel espace de liberté« , nous affirme la présidente de la commission Éducation-Formation-Insertion du MEDEF. Je fais une lecture tellement différente de la situation que j’en viens à me poser la question : vivons-nous dans le même monde ? Car ma conviction est exactement à l’opposé : la technologie a transformé le monde de telle sorte que le savoir n’a jamais été aussi accessible, et la formation aussi libre. Le Monde se forme, plus que jamais, et plus vite que jamais auparavant. La France, elle, est engluée dans un système largement sclérosé : les entreprises et leurs collaborateurs n’accèdent tout simplement pas à ce formidable espace de liberté.
Et finalement je continue ma lecture en me demandant si le MEDEF ne pratique pas une forme de novlangue : « La réforme se traduit avant tout par une liberté retrouvée pour tous les acteurs : pour le chef d’entreprise, la liberté de choisir son investissement dans la formation ; pour le salarié : la liberté d’être acteur de son parcours de formation« …
Expliquons-nous. Au départ, le compte personnel de formation (qui est la clef de voûte de la réforme) est une idée aussi simple que géniale. Au fur et à mesure qu’il travaille, le salarié alimente un crédit de formation qu’il pourra utiliser pour ses projets de formation. Le principe sous-jacent est de rendre le salarié acteur et responsable de son parcours professionnel, du développement de ses compétences en fonction de ses aspirations, et pour faire usage d’un mot à la mode, du maintien de son employabilité.
C’est donc la mise en œuvre de cette belle idée qui est absolument regrettable. Le compte de formation n’a plus rien de personnel si l’individu n’a pas réellement la liberté de choisir ce qui lui convient. Il aurait fallu reconnaître sa capacité à choisir ce qui est bon pour lui. Il aurait fallu reconnaître la capacité des entreprises, et notamment des « petites » entreprises, à négocier la question formation avec leurs collaborateurs. Or c’est exactement l’inverse qui a été fait : on a confisqué le pouvoir des individus pour le confier aux OPCAS (Organismes Paritaires Collecteurs Agréés) et aux branches professionnelles ; on a fondé l’ensemble du système sur la reconnaissance RNCP (Répertoire Nationale des Certifications Professionnelles), qui par définition favorise des formations longues et qualifiantes.
Et pourtant, une large part, sans doute croissante, de la demande de formation correspond au contraire à des modules courts, ciblées sur des compétences particulières. La frontière entre formation et information est d’ailleurs rendue plus diffuse à mesure que l’exigence de se former a investi l’espace et le temps professionnel. La formation est omniprésente : d’une part, on y recourt en permanence ; de l’autre, elle est rendue plus accessible par la technologie (je pense en particulier à l’offre e-learning ou m-learning).
C’est particulièrement vrai pour certaines activités. Le développement informatique, par exemple : d’un projet à l’autre, on ne code déjà plus de la même manière, on réapprend et on réinvente sa pratique. On pourrait décrire le processus comme un aller-retour incessant entre travail et formation, au rythme de la vibration du nouveau monde.
En définitive, les OPCAS, les partenaires sociaux et, au travers du RNCP, l’État, ont pris le pouvoir : ils décident de ce qui est bon pour l’individu et de ce qui est bon pour l’entreprise. Le système est tellement empreint de lourdeur qu’il ne fonctionne pas ; on nous parle d’un problème de démarrage ; mais le vice lui est inhérent.
On a beau jeu aujourd’hui de taper sur l’équipe Hollande. En l’occurrence il faut le rappeler : cette réforme ratée n’est pas seulement de la responsabilité du gouvernement. En la matière, et selon la tradition, nos dirigeants et nos représentants n’ont fait que traduire dans la Loi la volonté des partenaires sociaux. Aussi, la question peut se poser dans ces termes : comment ceux qui font aujourd’hui la promotion de cette réforme ont-ils pu appeler cela de leur vœux ?
C’est une question à laquelle je n’ai pas de réponse. Mais aujourd’hui, le mal est fait ; tout observateur objectif peut constater que la formation professionnelle est à l’arrêt. Il est plus qu’urgent de faire machine arrière. Ce qu’on pourrait attendre des organisations patronales, c’est qu’elles tiennent un discours de vérité.
Tenir un discours de vérité, c’est reconnaître que cette réforme a été dans le même sens que les réformes précédentes : moins de pouvoir aux individus et aux entreprises ; plus de pouvoir aux branches professionnelles, aux OPCAS ; et un système de plus en plus étatisé au travers de la reconnaissance RNCP généralisée.
Tenir un discours de vérité, c’est dire que la réforme a introduit plus de rigidité là où il fallait plus de souplesse, plus de lourdeur là où il fallait plus de flexibilité, plus d’État là où il fallait plus de liberté.
Tenir un discours de vérité, c’est dire qu’en matière d’évolution des connaissances et des compétences des Hommes, on n’a jamais trouvé mieux que la liberté.
Je viens de lire votre billet. Voulant profiter de mes crédits d’heure pour me former, j’ai fait le triste constat de cette opacité. Je ne peux qu’être entièrement d’accord. Surtout la conclusion : en matière d’évolution des connaissances et des compétences des Hommes, on n’a jamais trouvé mieux que la liberté. Je me demande parfois qu’elle est la vision de ces dirigeants. Si il se trouve dans le même monde que nous.